La liberté matrimoniale et la continuité du statut conjugal au secours du mariage entre alliés.
Après s’être prononcée sur la conventionalité d’un mariage entre ex-beaux-parents et beaux-enfants[1], la Cour européenne des droits de l’Homme vient cette fois trancher la question de la conformité à la Convention éponyme de l’annulation d’un mariage entre ex-beaux-frères et belles-sœurs.
A l’unanimité, les juges européens ont considéré que l’annulation du mariage des requérants au motif que l'épouse était l’ancienne belle-sœur de l'époux violait l'article 12 de la Convention européenne.
En l’espèce, les juridictions grecques ont annulé le mariage religieux du requérant avec la sœur de son ancienne épouse de laquelle il avait divorcé, en application de l’article 1357 du Code civil grec qui interdit, comme le faisait à l’époque l’article 162 du Code civil français, le mariage entre alliés jusqu’au troisième degré en ligne collatérale.
La Cour de cassation grecque a rejeté le pourvoi du requérant en estimant, d’une part, que la conclusion du mariage créait une alliance en ligne collatérale qui continue à exister même après la dissolution dudit mariage[2], et, d’autre part, que l’article 12 de la Convention européenne permet aux législateurs nationaux de prévoir des empêchements au mariage aux fins de protection de l’institution familiale.
Après avoir rappelé sa jurisprudence constante[3] selon laquelle les Etats bénéficient d’une marge d’appréciation restreinte quant aux interdictions à mariage, lesquelles ne doivent pas restreindre ce droit d’une manière à l’atteindre de sa substance même, la Cour européenne relève :
D’abord, que cette interdiction n’a pas servie à prévenir une confusion du lien ou du degré de parenté ni une insécurité émotionnelle de la fille du requérant, et qu’elle n’était donc pas nécessaire en l’espèce ;
Ensuite, qu’un consensus européen se dégage concernant l’absence d’empêchement à mariage entre d’anciens belles-sœurs et beaux-frères au sein du Conseil de l’Europe[4], ce qui réduit d’autant la marge d’appréciation de l’État en la matière ;
Enfin, que les autorités nationales grecques ne se sont nullement opposées à la conclusion de ce mariage et que les requérants ont joui pendant plus de dix années de la reconnaissance juridique et sociale de leur relation maritale et des droits qu’elle confère.
La Cour conclue à l’unanimité que l’annulation d'un mariage célébré entre un ex-beau-frère et une ex-belle-sœur à raison de leur lien d'alliance caractérise une violation de la liberté matrimoniale garantie par l'article12 de la Convention européenne en ce qu’elle porte atteinte à la substance même de leur droit au mariage.
Par cet arrêt, les juges européens ont-ils simplement entendu libéraliser encore davantage le droit au mariage (I) ou faire de la continuité du statut conjugal leur leitmotiv ?
La libéralisation du mariage entre alliés : l’apport patent
La condamnation de la Grèce était attendue puisque la Cour avait déjà estimé dans l’arrêt B. et L. c/ Royaume-Uni[5] que l'empêchement à mariage prévu par la loi britannique frappant les ex-beaux-parents et les ex-beaux-enfants dès lors que leur précédente union n'avait pas été dissoute par un décès, était contraire à la Convention.
Par esprit de cohérence, après avoir reconnu la validité d’une union entre alliés au deuxième degré, la Cour ne pouvait que reconnaitre la validité d’unions entre alliés au troisième degré, ou plus exactement l’inconventionnalité de son annulation.
Cet arrêt s’inscrit ainsi dans un mouvement de libéralisation du contentieux du mariage entre alliés, et, plus largement, de l’institution matrimoniale elle-même.
Dès lors, si les empêchements à mariage ne sont pas, par principe, contraires à la Convention, la jurisprudence de la Cour semble toutefois contraindre les États parties au Conseil de l’Europe à en prévoir des exceptions, selon une analyse in concreto de la situation des futurs époux et des conséquences de leur mariage, à l’instar de la levée des prohibitions pour causes graves prévues à l’article 164 du Code civil français.
Les juges européens tendent ainsi à créer un standard européen du mariage en interdisant aux États de restreindre de manière radicale le droit de se marier pour des motifs relevant d'une morale sociale ou religieuse.
La continuité du statut conjugal : l’apport latent
Les juges européens semblent faire de la conservation des droits acquis par l’obtention d’un statut marital et de l’espérance légitime de la jouissance des droits qui en découlent les critères prépondérants s’opposant à l’annulation, rétroactive par nature, de leur mariage.
Il est en effet intéressant de constater qu’à l’instar des Haut Magistrats français, la Cour européenne met en avant l’importance du critère de la durée du mariage[6], ce qui est d’autant plus surprenant qu’en l’espèce les requérant n’ont pas allégué de violation de l’article 8 de la Convention, qui aurait justifié des développements fondés sur la protection de la vie familiale.
Alors que la Cour de cassation avait considéré dans son arrêt du 4 décembre 2013[7] que l'annulation du mariage entre un beau père et sa belle-fille constituait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale dès lors que celui-ci avait duré plus de vingt ans, elle a récemment jugé[8] qu’un tel mariage n’était pas contraire aux articles 8 et 12 de la Convention dès lors qu’il n’avait duré que huit années.
On peut alors se demander ce qu’aurait décidé la Cour européenne des droits de l’Homme si la célébration du mariage avait été empêchée en amont par les autorités nationales ou s’il n’avait pas duré, comme les juges européens le relèvent, dix années dont neuf de procédure…
Notes de bas de page
- CEDH, 13 septembre 2005, B. et L. c/ Royaume-Uni, n° 36536/02 : Dr. famille 2005, comm. 234, A. Gouttenoire et M. Lamarche ; JCP G 2006, I, 109, F. Sudre ; RTD civ. 2005, p. 735, J.-P. Marguénaud ; RTD civ. 2005, p. 758, J. Hauser ; D. 2006, p. 1418, J.-J. Lemouland et D. Vigneau
- Conformément aux dispositions de l’article 1462 du Code civil grec.
- Voir notamment CEDH, 17 octobre 1986, Rees c/ Royaume-Uni, n° 9532/81 dont le raisonnement est repris dans CEDH, 28 novembre 2006, Parry c/ Royaume-Uni, n°42971/05.
- En effet, sur les 42 États parties au Conseil de l’Europe, seulement 2 États (l’Italie et Saint-Martin) prohibent un tel mariage sans pour autant que cette prohibition de soit absolue puisque leurs législations nationales, contrairement à la loi grecque, prévoient des exceptions et des dérogations.
- CEDH, 13 septembre 2005, n° 36536/02, B. et L. c/ Royaume-Uni, op. cit.
- Durée du mariage qui est paradoxalement due à la durée de la procédure elle-même puisque neuf des dix années de mariage y ont été nécessaires.
- Cass. 1ère civ., 4 décembre 2013, n° 12-26.066 : JurisData n° 2013-027409 ; Dr. famille 2014, comm. 1, J.-R. Binet ; JCP G 2014, 93, M. Lamarche ; D. 2014, p. 153, H. Fulchiron ; D. 2014, p. 179, F. Chénedé ; RTD civ. 2014, p. 307, J.-P. Marguénaud. – Et, en réponse, F. Chénedé : RTD civ. 2014, p. 829
- Cass ; 1ère civ., 8 décembre 2016, n°15-27.201 : AJ fam. 2017. 71, obs. J. Houssier ; D. 2017. 953, obs. I. Gallmeister, note F. Chénedé ; ibid. 470, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 1082, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; RTD civ. 2017. 102, obs. J. Hauser.